dimanche 11 mars 2018



Glissement

Le programme Glissement était un programme organisé avec le Dojo à Nice. Quatre artistes et un groupe d’architectes étaient invités à réfléchir à la mise en place d’un projet défini à la fois collectivement et par chacun des acteurs. Glissement entendait mettre à plat la difficile relation entre l’auteur – artiste, architecte, curator -  et le groupe constitué. Adam Vackar, Nikolai von Rosen, Florian Pugnaire et David Raffini, Tatiana Wolska, Benjamin Lafore et Sébastien Martinez Barat, et moi-même, en étions les acteurs et les organisateurs.

Échec ou succès. Ni l’un ni l’autre. Une expérience du groupe. Une expérience qui a mis en avant la singularité de l’individuation de l’auteur face au collectif. Deux duos, d’artistes et d’architectes, des artistes et un curator. Des expériences qui, toutes, font appel à un travail personnel significatif d’auteur et un rapport à un collectif, duo ou groupe plus important. Une histoire d’idiorythmie.

En décembre 2016, j’organise avec quelques enseignants de l’École supérieure d’art et de design Toulon Provence Méditerranée, le psychanalyste Pierre Falicon et l’Association de la cause freudienne Méditerranée Alpes Provence, un colloque autour du séminaire que Roland Barthes a donné en 1976-1977 au Collège de France, Comment vivre ensemble ?  Il s’agissait de réfléchir à cette singularité de conjuguer ensemble le travail d’auteurs. Singulariser le regroupement de singularités, si l’on veut bien me permettre cette formule.

Il a été question des regroupements d’artistes, des collectifs, des relations de soi aux autres, mais aussi de l’enseignement supérieur artistique.

C’est aujourd’hui une question centrale pour les écoles d’art. Pensées au XIXe à partir de la relation de maître à élèves, elles ont inversé cette relation après 1968 pour offrir toute la place à l’étudiant et le laisser développer de manière souple ses relations à un groupe d’enseignants. Au cœur de ce dispositif, les fameux entretiens individuels entre l’étudiant et les enseignants, tour à tour seul, à deux, trois ou quatre… Cela privilégie l’émergence de la subjectivité de l’auteur, seul bien entendu. Avec un avantage majeur, l’émergence de sa personnalité d’auteur qui pourra à son tour, le diplôme en poche, accompagner l’émergence d’autres subjectivités individuelles.

Ce système favorise le marché de l’art car il perpétue l’idée de l’artiste travaillant dans son atelier ou dans des espaces plus ou moins hostiles et favorise un style identifiant sa subjectivité ; le marché est pourtant souvent considéré au sein des écoles comme le milieu hostile par excellence. La boucle est bouclée, ou la tautologie parle d’elle-même du côté du marché. Un oxymore fait réalité du côté des écoles. Une aporie qui broie l’individu et renforce la volatilité du marché.

Mais, ce dispositif, ce système – autre question sémantique -, cette perpétuation d’un modèle ethnographique plaçant avec une certaine affection l’artiste en marge de la société pour mieux le placer sur un piédestal ensuite avant de le faire tomber, se heurte à une évolution – une révolution ? -  apporter par le développement des technologies numériques et les globalisations successives de la fin du XXe et du début du XXIe siècle. Ces deux mutations concomitantes et connexes ne se sont produites que par un travail collectif. Toute avancée technologique aujourd’hui ne peut avancer que par le collectif. La complexité qui en est le terme le plus évident, ne peut être abordée finalement que par la complémentarité des intelligences.

La force des propositions collectives apparaît comme une évidence, précisément parce qu’elle permet de réunir des points de vue individuels. Face au monde et à ses enjeux contemporain, l’opposition individu/collectif n’a plus cours justement en raison de l’impossibilité pour une seule subjectivité d’embrasser un ensemble vaste de questions concomitantes et connexes.


Il est donc temps de repenser le modèle pédagogique des écoles supérieures d’art centré sur l’individuation pour y ajouter le collectif comme ressource. Ce n’est pas une négation de l’individu comme être pensant et responsable. C’est justement la valorisation de la relation aux autres comme responsabilité face au monde. Une autre manière d’être ensemble.

lundi 21 avril 2014

Les Ruines Circulaires / The Circular Ruins



Les Ruines Circulaires / The Circular Ruins 1/3

The Circular Ruins / Les Ruines Circulaires

With the artists :


Lara Almarcegui (ES), Daniela Baráčková (CZ), The Bells Angels : Simon Bernheim & Julien Sirjacq (FR), Louidgi Beltrame (FR), Émilie Benoist (FR), Nathalie Brevet_Hughes Rochette (FR), Wojtek Doroszuk (PL), Barbora Klimová (CZ), Djamel Kokene (FR), Svätopluk Mikyta (SK), Jarmila Mitríková & Dávid Demjanovič (SK), Michal Moravčik (SK), Nicolas Moulin (FR), Florian Neufeldt (DE), Marketa Othova (CZ), Jan Pfeiffer (CZ), Jiří Polaček (CZ), Florian Pugnaire & David Raffini (FR), Nikolai von Rosen (DE), Christophe Sarlin (FR), Pavla Sceranková (SK), Dušan Šimánek (CZ), Valentin Souquet (FR), Eric Stephany (FR), Fritz Stolberg (DE), Ivan Svoboda (CZ), Adam Vačkař (CZ), Jaro Varga (SK), Sergio Verastegui (PE).

Curated by Jean-Marc Avrilla


With the support of Institut Français, Goethe Institut and Laboratoire Flair-Paris

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April 3rd – May 24th at Institut Français de Prague
April 3rd – May 18th at Meetfactory


The Circular Ruins 

A dream woke up in the dreamer’s dream…
J.-L. Borges, The Circular Ruins

The representation of ruins have a long history in Western art. Their new appearance last ten years shows not so much importance that the same plasticity of this topic whose causes have never stopped changing. Panegyrics of the greatness of ancient civilizations during the Renaissance, critics of Enlightenment rationalism in the eighteenth century, iconic images of romanticism, or painful frontal of political upheaval of the 20th century, the ruins are an iconography of great complexity where belong tensions of world and humans face their destiny.

The exhibition
The Circular Ruins, borrowing its title from Jorge Luis Borges, paints a contrasting picture where the psychic darkness of certain works meets a bright abstraction of others, reflecting the role of ruins in the representation of a constantly changing and violence of the contemporary. The memory of the ruins is a ghostly presence that opens a new query of modernity through all our society. And constant is going through time and history of their representation in articulating within them a combination of images as nested, where a dialectic between diachrony and synchrony seats.

The project consists of two independent and yet communicating units. In the Institut Français, a choice of photographs and videos by Czech and Slovak artists will be presented, from the 1980s to the present. These works make use of the phenomena of appearances, their changes in time and their transience. It’s not about melancholy, but rather the poetry of simple and immediate things, that paradoxically illustrate the depths of history.

The other part of the exhibition is taking place at the MeetFactory Gallery and will introduce works of European or Europe-based artists. The selected works or site-specific installations analyze within a kind of journey the subject of ruins and how pictures are operating. The exhibition intends to provoke thinking about the ways of depiction, the complexity of contemporary views of references to the past and oblivion, and about the different possible approaches to European history. Beyond, the exhibition suggests the necessity of reconsidering the multiple modernity of the world, as a return imposed by the artistic, historiographical, anthropological thought, from non-Western modernities that have transformed the approach of our memory and the world in last twenty-five years .

The ruins of the eighteenth century were part of a universal process of thinking centered on Europe and its history. Representations of contemporary ruins are built within a global thinking which forces us to question the singular to think in difference.
 

Les ruines Circulaires / The Circular Ruins 2/3


Les Ruines Circulaires / The Circular Ruins in Institut Français de Prague and Meetfactory. With the support of Institut Français, Goethe Institut and Laboratoire Flair-Paris

Official invitation card
Pictures of the show in Institut Français de Prague - selection : 

General view.


General view. Left to right : Dušan Šimánek, Ivan Svoboda, Markéta Othová, Barbora Klímová, Jaro Varga, Jiři Polaček.


Left to right : Daniela Baráčková, Dušan Šimánek.


Left and center : Dušan Šimánek, right : Ivan Svoboda.


Dušan Šimánek.


Ivan Svoboda.


Markéta Othová.

Jiři Polaček.


Jiři Polaček.
Foreground : Jaro Varga, background : Barbora Klímová

Jaro Varga (details).


Jan Pfeiffer.
 All photos : copyright.

Les Ruines Circulaires / The Circular Ruins 3/3


Les Ruines Circulaires / The Circular Ruins in Institut Français de Prague and Meetfactory. With the support of Institut Français, Goethe Institut and Laboratoire Flair-Paris


Official invitation card

Pictures of the show in Meetfactory - selection : 

First room general view Meetfactory. Foreground, left to right : Nikolai von Rosen, Florian Neufeldt, Eric Stephany. Background, left to right : Eric Stephany, Lara Almarcegui, Sergio Verastegui, Valentin Souquet, Jarmila Mitríková & Dávid Demjanovič. 
Left to right : Djamel Kokene, Adam Vačkář.
On wall : Adam Vačkář, on ground : Sergio Verastegui.
Left to right : Florian Neufeldt, Nikolai von Rosen, Nathalie Brevet_Hughes Rochette, Eric Stephany.
Left to right : Nikolai von Rosen, Nathalie Brevet_Hughes Rochette, Eric Stephany.
Foreground : Sergio Verastegui, background : Eric Stephany, Christophe Sarlin (perfume) and Lara Almacergui (slide show).
Foreground, left to right : Sergio Verastegui, Eric Stephany, background left to right : : Jarmila Mitríková & Dávid Demjanovič, Valentin Souquet, Sergio Verastegui.
Sergio Verastegui (details).
General view second room. Left to right : Michal Moravčík, The Bells Angels, Sergio Verastegui, Fritz Stolberg (audio), Pavla Sceranková.

The Bells Angels (details).
The Bells Angels (details).
Émilie Benoist.
Lara Almarcegui.
Video Room with Louidgi Beltrame, Wojtek Doroszuk (picture), Nicolas Moulin, Florian Pugnaire & David Raffini.
All Photos : copyright Barbora Kleinhampova and J.-M. Avrilla (The Bells Angels details).

samedi 1 mars 2014

Mnémosyne, déesse de la mémoire...

J’attendais avec beaucoup de curiosité l’exposition de Georges Didi-Huberman et Arno Gisinger au Palais de Tokyo. Je n’avais vu ni l’exposition de Madrid ni celle du Fresnoy. Mon désir était grand de changer de dimension et, après avoir lu une petite partie de son œuvre écrite, d’entrer dans une autre forme d’écriture, celle de l’exposition.

Là réside justement l’intérêt de ce projet Mnémosyne 42. La dimension fantomatique du travail d’Aby Warburg, telle que l’historien français l’a magnifiquement analysée dans les deux ouvrages qu’il lui a consacrés, ne peut cacher une autre dimension ou plus exactement un autre passage, dont Mnémosyne a représenté une étape pour Warburg. Mnémosyne marque le passage de l’œuvre à son image. En noir et blanc, cette dernière cherche à se réduire à l’objet de recherche de l’historien, qui la recadre et l’installe en lien avec d’autres. Il s’agit bien du passage d’un état à un autre, de celui d’œuvre défini en parti par son matériau à une trace, empreinte photographique, qui nie en partie ce qu’était l’original pour accentuer les éléments servant d’arguments au discours de l’historien.

Georges Didi-Huberman réactualise la planche 42 en puisant aux sources du plus puissant mode d’expression artistique du XXe siècle, le cinéma. Ici le recadrage est celui du temps, de l’extrait qui est coupé pour porter l’attention sur une séquence, ou même moins, un instant. Les films numérisés sont projetés en conservant leur aspect coloré ou noir et blanc d’origine. Il n’y a donc pas de changement matériel visible sauf qu’il s’agit bien d’une partie seulement de l’œuvre qui est ainsi sélectionnée et montrée au public, projetée au sol.

La taille de la projection, les distances entre les images, leur proximité immédiate ou non construisent un assemblage qui est proche des planches de Mnémosyne de Warburg. Mais une différence apparaît en regardant la mise en scène de la planche 42 projetée sur grand écran par un mouvement de caméra qui ne permet pas de la contempler dans son intégralité, mais glisse en surface, composant ainsi une série de séquences. Or ce mouvement est précisément celui que nous spectateurs, une fois le point de vue surplombant terminé, sommes amenés à faire en circulant entre les images.

Cet artifice ne me paraît pas anodin, comme je peux imaginer la précision du travail de l’historien français. Chacune des planches de Mnémosyne de Warburg est considérée comme une image composée de multiples images. Le fond noir est justement ce fond cosmique sur lequel flottent les images. En offrant cette lecture dynamique de l’œuvre de Warburg, en la prolongeant par sa propre interprétation à l’aide d’un type d’œuvres que l’historien allemand n’a pu connaître, c’est une autre dimension que Georges Didi-Huberman lui confère en retour, celle qu’avait su révéler un troisième historien, Philippe Alain Michaud, une dimension cinématographique.

Or c’est une dimension trop peu souvent prise en compte dans l’analyse même des expositions que cette circulation, qui, comme un plan séquence dont le spectateur serait la caméra, glisse tout au long d’un assemblage collage dont l’Atlas, suite de Arno Gisinger en montre le principe. Une mise en image qui justifie cette mise en exposition pour que nous puissions appréhender l’œuvre. Bref, une histoire de passage d’états.

Jean-Marc Avrilla
Février 2014